Il existe des dizaines de méthodes de vente. Alors que je m’apprêtais à donner quelques clés permettant de choisir celle qui correspond le mieux à une activité donnée, je me suis demandé d’où elles venaient, comment elles avaient évolué.

Voilà ce que j’ai trouvé:

Dans les années 20, un certain nombre de méthodes de vente reposaient sur la phrénologie: l’étude de l’impact des caractéristiques et métriques du crâne humain sur les traits de caractère. Elles encourageaient les vendeurs à regarder la forme du crâne pour adapter leurs discours. Si cela peut paraître complètement anecdotique, il est plus surprenant d’apprendre que cette méthode a été popularisée par Henri Ford qui formait ses vendeurs à identifier les personnes ayant un front haut parce que plus propices à accepter des idées nouvelles.

Les années de récession voient se développer un certain nombre de techniques faisant appel soit à l’empathie des acheteurs (le vendeur décrivant par exemple les difficultés qu’il a à nourrir sa famille) soit à la communication de messages positifs montrant joie et allant. Elles se recoupent sous le nom de Mood Selling

En 1936 intervient un changement qui marque un tournant dans l’histoire de la vente: la parution de «Comment se faire des amis et influencer les autres», écrit par Dale Carnegie. Montrer aux autres qu’on s’intéresse à eux, être souriant, les valoriser et les écouter avec attention, se souvenir de leurs prénoms et autres détails personnels sont autant de techniques qui ont été incorporées dans de nombreuses techniques de vente (Customer Centric Selling, Relationship Selling). La distanciation induite par la crise sanitaire, la nécessité de créer du lien via la vidéo font connaître aujourd’hui un regain de popularité à ces méthodes.

A la même époque se développe le Barrier Selling qui repose sur les mécaniques d’engagement de notre subconscient. L’objectif est d’obtenir un engagement d’achat après avoir recueilli un nombre de validations, d’acquiescements, de « oui » sur des points non significatifs mais piégeant graduellement l’acheteur, idéalement devant ses proches (« Est-ce que vous voulez que vos enfants puissent avoir le mieux de ce qu’une bonne éducation peut amener ? »). Au fur et à mesure, l’acheteur ou plutôt son subconscient, se retrouve dans une dynamique où dire « non » nécessite un effort maintenant hors de portée.

C’est à cette même période que la rémunération des commerciaux en fonction de leurs ventes devient la règle plutôt que l’exception et est à la source d’abus et de manipulation à un tel point que les gouvernements forcent l’introduction de dispositions permettant aux acheteurs de se rétracter. Ces méthodes de vente, et les problèmes qui vont avec, restent choses courantes et sont toujours utilisées lorsqu’il s’agit de vendre à des personnes plus fragiles des contrats d’assurance, des changements de fournisseur d’énergie ou de nouvelles fenêtres.

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Les années 50 sont le point d’émergence de méthodes de vente qui reposent sur la démonstration de la valeur du produit par la référence aux bénéfices dont jouissent les clients existants (SELL: Show, Explain, Lead to benefit, Let them talk). A la même époque, et plus particulièrement au Royaume-Uni, apparaissent un ensemble de techniques consistant à obtenir un engagement après avoir fait répondre un questionnaire qui orientera graduellement l’acheteur (ADAPT: Assessment, Discovery, Activation, Projection, Transition).

Enfin, l’ARC (Ask, Recommend, Cross-sell and close) très populaire dans le retail, se répand progressivement dans le B2B avec pour objectif d’élargir le type de produits ou de services vendus à chaque client. On retrouve ce concept dans le Strategic Selling de Miller et Heiman paru en 1975.

Les années 60 sont le témoin de l’émergence d’une profusion de techniques similaires jusqu’à l’arrivée du Formula Selling et de BANT. Dans un cadre économique florissant où l’offre est toujours plus diverse, les études Marketing commencent à montrer l’intérêt de la spécialisation. C’est la définition du concept de marché de niche visant à développer des segments de clients plus petits mais plus homogènes et surtout plus sensibles à un même discours scripte et aligné sur leurs spécificités. C’est la notion du Formula Selling avec des méthodes comme AIDA (Attention, Interest, Desire, Action), méthodes qui sont encore utilisées aujourd’hui par les télé-marketeurs dont l’offre de produits ou de services est très standardisée.

C’est à cette même époque que IBM introduit une méthode permettant non pas de systématiquement pousser à la vente mais de s’assurer d’abord qu’elle est faisable et que les signataires sont identifiés. BANT (Budget, Authority, Need, Timing) est la première méthode qui vise à établir la qualification réelle des opportunités avec pour ambition d’éliminer le plus rapidement possible les « touches » qui ne vont mener à rien. Implicitement, c’est aussi le moyen de limiter le coût de la vente et de maximiser l’allocation du temps aux ventes qui ont le plus de chances de réussir.

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1968 est l’année de toutes les révolutions y compris dans le domaine commercial. La tombée de ses brevets dans le domaine public constitue pour Xerox une situation où elle doit faire face à une concurrence sur son propre marché. C’est ce qui la pousse à investir plus de 100M $ dans la création et la mise en place d’une méthode de vente. Celle-ci, inédite, prend comme postulat qu’un acheteur ne veut « pas se faire vendre quelque chose » mais faire des choix sur la base d’informations étayées. Cette approche met sur le commercial la responsabilité de a) savoir ce dont le client a besoin, et b) avec un degré de connaissance suffisante du métier du client pour mettre en lumière les bénéfices permettant au prospect de prendre une décision rationnelle.

La NSS (Need Satisfaction Selling), intégrée dans un programme de formation commercialisé par Xerox sous le nom de PSS (Professional Selling Skills) marque un tournant en donnant un modèle pour les ventes de solutions complexes où l’environnement est concurrentiel et le prix un critère déterminant. Le PSS reste à ce jour un des 2 piliers des méthodes de ventes actuelles.

Au milieu des années 70, alors que l’horizon économique s’assombrit et que se développe une aversion généralisée au risque, Robert Miller et Stephen Heiman créent le Strategic Selling. Ce système s’appuie largement sur le PSS en ajoutant une méthodologie permettant la planification de l’activité commerciale au sein de larges comptes. Si le succès est indéniable, on peut regretter que Strategic Selling mette plus en avant un guide de tâches à réaliser (la fameuse Blue Sheet) que des compétences particulières.

Un réel changement intervient vers la fin des années 80 avec une approche qui évolue de la mise en valeur des caractéristiques du produit, des avantages et bénéfices qu’il procure, à une attention accrue portée au prospect et à ses problèmes.

Le Consultative Selling se base sur les techniques du PSS non pas pour mettre en place le processus de vente mais pour développer le socle d’une mécanique de questionnement faisant apparaître le vendeur comme un expert et un partenaire dans la recherche de solutions. C’est l’idée du « Hurt & Rescue » (plus tard incorporé dans la construction du chemin émotionnel de Challenger Sale). Celle-ci consiste à identifier et mettre en lumière chez le client un problème dont l’impact est mesurable, quantifiable avant de proposer une solution qui le ferait disparaître. Si la détermination d’une valeur entre un état actuel actuel et un état futur a été utilisé dans nombre de méthode de vente, la vraie révolution est introduite en 1988 par Neil Rackham. SPIN amène le concept de « Hurt & Rescue » à un autre niveau par la mise en place de séquences de questions amenant le prospect à trouver lui-même les réponses et formuler la solution dont il a besoin: Situational, Problem, Implications, Need pay-off.

A ce jour, SPIN est le coeur, le fondement, de la grande majorité des méthodes de vente actuelles.

En 1993, Mike Bosworth publie Customer Centric Selling. Cet ancien de Xerox très impliqué dans le projet PSS, propose une variation de SPIN où l’essentiel des questions et actions se concentrent sur le client, favorisant le mode conversationnel aux présentations formelles, cherchant faire mettre en exergue les bénéfices de la solution pour le client plutôt que les caractéristiques du produit ou service. L’objectif là encore est de faire apparaître le commercial comme un expert plus porté sur le questionnement que la présentation d’avis tranchés.

Un grand nombre de variantes apparaissent encore à ce jour avec par exemple le Gap Selling de Jim Keenan. Si la plupart apporte quelque de nouveau, comme la prise en compte la sur-sollicitation quotidienne dont les acheteurs font actuellement l’objet, il n’y a pas réellement d’innovation. Elles restent des variations de PSS et SPIN qui ont eu l’incroyable mérite de mettre en avant la nécessité de développer avec le client une compréhension mutuelle de ce qu’est la solution idéale. Ces méthodes de vente restent toutefois alimentées par la demande: le client sait qu’il a un problème.

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En 2009, l’économie fait face à une crise financière majeure provoquée par l’effondrement d’une partie du système bancaire fin 2008. Un de ses effets est la modification assez radicale du comportement des acheteurs. Ces derniers reprennent en main une partie du process de vente d’une part parce que l’accès à l’information est plus facile, donnant moins de valeur à ce côté consultant que se donnent les commerciaux et d’autre part parce que les décisions d’achat notamment pour les solutions complexes se font de manière plus collégiale après avoir suivi des process plus stricts.

Matt Dixon et Brent Adamson introduisent en 2011 le Challenger Sale. Sur la base d’une étude statistique identifiant les traits dominants des commerciaux dépassant systématiquement leurs objectifs dans des périodes difficiles, ils mettent au point une méthodologie (certains la qualifient de chorégraphie) dont l’objectif est de donner un angle nouveau aux problèmes rencontrés par les clients. Après avoir déstabilisé l’acheteur en lui montrant les risques actuels puis en les extrapolant sous un jour plus « business » et plus large que le problème initial, le vendeur cherche là encore à faire progressivement apparaître un futur plus radieux. C’est ici aussi l’identification des problèmes et de leurs impacts qui vont mener à la mise en avant d’idées créatives et différentes pour aboutir à une proposition taillée sur les besoins et objectifs du clients.

La nouvelle économie a fait apparaître des solutions à des problèmes qui soit n’existaient pas soit n’étaient absolument pas perçus. De là a découlé un ensemble considérable de nouveaux comportements, une façon totalement nouvelle de consommer. Les offres Saas et Paas en sont des exemples parfaits dans la mesure où ils apportent une réponse à des problèmes complexes sans faire supporter au client le coût de l’infrastructure. Cela a introduit un ensemble de méthodes de vente se regroupant sous les termes de Insight Sellingou Provocative Selling qui, si elles se positionnent dans la lignée de Challenger Sales, nécessitent de plus en plus de faire appel à des vendeurs qui ont une connaissance intime du métier de leurs prospects et de l’industrie dans lequel ces derniers opèrent.

Internet a tout changé, y compris le degré d’information qu’ont les acheteurs potentiels et leur capacité à chercher l’information dont ils pensent avoir besoin. De là est né l’Inbound Selling qui vise à alimenter les acheteurs potentiels avec un contenu éducatif. Le contenu repose sur de larges quantités de données et autres métriques permettant de créer un contenu hyper-personnalisé afin d’inciter l’acheteur à proactivement contacter le vendeur.

Un certains nombre de méthodes ont été évoquées dans cet article. Il en existe des dizaines d’autres. Dans le désordre et d’une manière loin d’être exhaustive, on peut citer:

  • SNAP (Simple, iNvaluable, Align and raise Priorities)
  • Value Selling
  • Target Account Selling
  • MEDDIC (Metrics, Economic buyer, Decision criteria, Decision process, Identify pain, Champion)
  • ANUM (Authority, Need, Urgency, Money)
  • NEAT, une version « rénovée » de ANUM (Need, Economic Impact, Access to authority, Timeline)
  • The Sandler Selling System
  • GPCT (Goal, Plans, Challenges, Timelines) qui est une vision rafraîchie de BANT popularisée par IBM.

Avoir une méthode de vente est impératif. Cela permet d’avoir plus de précision dans les forecasts, d’éliminer les opportunités non qualifiées, de fournir un guide pour les commerciaux et s’assurer qu’ils font ce qui est attendu d’eux. Cela permet aussi d’avoir un langage commun permettant coaching et mentoring.

Mais peut-être que la première question à se poser est celle du contexte dans lequel on opère. Ce qui prime, c’est la réponse à la question suivante: pour mon marché, mes produits, mes solutions, quel est le comportement typique de l’acheteur, à quel moment interagit-il avec le vendeur et dans quelle optique.

 

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